Long cours / Avant

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Grenelle

 

Je me souviens…


- Je me souviens du Champ de Mars, cet univers aux continents disparates : la grande plane sablonneuse devant l’Ecole Militaire, les massifs où se cachent les accès mystérieux aux entrées souterraines de la Tour Eiffel, les allées cavalières parallèles à l’avenue de Suffren et les allées serpentines parsemées de nounous pomponnées venant de l’avenue Charles Floquet, des employés en retraite jouant aux boules, des ménagères du boulevard de Grenelle et des pauvres hères égarées loin de leur rue de Lourmel.
- Je me souviens des biscottes Delft et des salamandres Pardon. Des bandes publicitaires pour ces deux marques étaient collées dans tous les tramways de Paris et, sur la route du Bon Marché ou de la Samaritaine, avec ma mère, j’en déchiffrais longuement les inquiétantes orthographes. Plus tard, la mention « Exiger la marque déposée » m’inquiétait beaucoup.
- Je me souviens de la petite fille du Chocolat Meunier avec son gros parapluie rouge.
- Je me souviens de Ramona, de Mogador, des Jardins de l’Alhambra et de Ce n’est que votre main, Madame, ainsi que de C’est une chemise rose avec un ptit’ femm’ dedans

- Je me souviens du gramophone que possédaient ma tante Berthe et mon oncle Robert, rue des Pyrénées. Après le repas familial, on passait l’après-midi à écouter Bach et Laverne, Cavaleria rusticana, Sur un marché persan, Quand je sens ton regard posé sur moi, l’ouverture du Barbier de Séville et, bien entendu, Poète et paysan.
- Je me souviens d’André Baugé. Il triomphait dans Nina Rosa que nous allâmes voir en famille (à Mogador ?). Ma tante possédait plusieurs disques de lui et, lorsqu’on les passait, un rite bien établi voulait que quelqu’un rappelât que ce ténor léger avait été gazé pendant la guerre de 14.
- Je me souviens de l’Exposition Coloniale et de la reproduction, à échelle réduite, du temple d'Angkor.
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Devant l'entrée de l'Exposition Coloniale
à Vincennes en 1931

 

famille

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Ma tante
Au moment de l'armistice, les sœurs de ma mère partirent pour Sarrebruck où elles se marièrent. L'aînée avait été séduite par un personnage douteux nommé Bonnerot (peut-être souteneur et trafiquant d'absinthe) qui disparut sans laisser de traces – en Amérique du Sud, m'a-t-on dit – avant ma naissance. Elle revint alors à Paris, 81 rue Lamarck, dans le dix-huitième et fut embauchée comme standardiste au siège du Chocolat Menier.
La cadette épousa un aimable gendarme, Robert Camuzet et, lorsque celui-ci prit une retraite très anticipée, s'installa avec lui 89 rue des Pyrénées, dans le vingtième. Elle devint secrétaire chez Davum tandis qu'il était pantouflait comme gardien dans une banque.
L'appartement de la rue Bartholdi était donc libre et mes parents s'y installèrent et j'y vécus avec eux de 1923 à 1952… Avant ma naissance, ils travaillaient tous deux à la Western Union, compagnie américaine de télécommunications où ils connurent Henry Ferry. Puis il fut embauché par la Great Northern Telegraph Company, compagnie danoise de télécommunications. Jusqu'à la cessation d'activité de cette compagnie, il fut donc représentant… en télégrammes : une activité dite de "canvassing", voyageant partout en France pour convaincre les sociétés exportatrices d'utiliser les services de sa compagnie pour expédier leurs télégrammes dans les pays scandinaves, mais aussi en URSS, en Chine et au Japon.
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L'entreprise où travaillait mon père

La rue Auguste Bartholdi, petite rue parallèle à la Seine, entre le boulevard de Grenelle et la place Dupleix, réalise une sorte de transition entre Grenelle et le Champ de Mars. Nous vivions au cinquième, dans un petit appartement avec balcon d'où l'on pouvait voir (et entendre!) le métro aérien. Devant la place Dupleix, la petite place du Cardinal-Amette avait en son centre l'église Saint-Léon et sur le côté l'Ecole Communale. Après plusieurs années d'âpres discussions, ma mère l'emporta et je fus baptisé à Saint-Léon (ma marraine était ma tante Mady et mon parrain Henry). Je suivis les cours de catéchisme et poussai jusqu'à la première communion.

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Au lycée Buffon

Les années de l'école communale (1929-1933) furent bénies pour moi. Je me souviens encore du nom de mon dernier instituteur : Mr Gaudu et du directeur de l'école : Mr Beauceron. Mes parents étaient aux anges! Mr Gaudu insista pour que je tente l'examen des "bourses", qui permettait l'entrée gratuite au lycée et servait du coup d'examen de passage. A l'oral l'examinateur me demanda ce que je savais sur Prométhée. Or je venais de lire un "petit livre pour la jeunesse" (Larousse ou Hachette, je ne sais plus) à son sujet. Je fus reçu (avec dispense d'âge) et rejoignit le Lycée Buffon à la rentrée 1933.

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Paul Braffort © 2002
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